Par Janine Badr, étudiante au PhD en santé publique de l’Université de Montréal et membre de la Chaire
Dans le cadre de la 31ème édition de la rencontre annuelle des Entretiens Jacques Cartier qui se sont tenus dans la région Auvergne Rhone-Alpes en novembre dernier, Pr. Pomey, avec son collègue le Pr Philippe Michel, professeur de santé publique à Lyon 1, ont co-présidé un colloque d’une journée qui avait pour thème « Les objets connectés en santé: quels enjeux pour le système de santé ? »
Pr. Marie-Pascale Pomey et Mme Janine Badr, étudiante au PhD en santé publique de l’Université de Montréal et membre de la Chaire, ont ainsi participé à cette journée, qui s’est tenue à Lyon le 12 novembre. De Montréal, étaient aussi invités le Dr Fabrice Brunet, PDG du CHUM et la Pr Aude Motulsky de l’École de santé publique de l’Université de Montréal, ainsi que M. Luigi Flora, patient ressource, qui est en lien avec le Centre d’excellence sur le partenariat avec les patients et le public.
Des chercheurs et professionnels de France et du Québec se sont ainsi réunis pour partager leurs travaux et expériences autour de cette thématique émergente. La santé connectée rappelons-le, a été définie par l’OMS comme un ensemble des pratiques médicales qui se base sur l’utilisation de dispositifs mobiles sans fil comme les téléphones portables, les tablettes ou les systèmes de surveillance des patients. Elle comprend l’usage d’applications mobiles ou d’objets connectés dans le cadre des pratiques médicales ou de santé publique (OMS, 2016).
La rencontre a été d’une grande richesse dans la mesure où elle a réussi à rassembler des acteurs clés des systèmes de santé français et québécois et à présenter l’implantation des objets connectés en santé. Ainsi des médecins, infirmières, gestionnaires, représentants du monde des affaires et des investisseurs, chercheurs, professeurs d’universités, mais aussi et surtout des patients porteurs de maladies chroniques et utilisateurs d’objets connectés ont pu échanger sur leur vécu/expérience et les résultats de leurs travaux de recherche.
Parmi les thématiques abordées lors de cette journée, on retrouve les enjeux d’efficacité pour les systèmes de santé et l’organisation des soins, l’impact sur la qualité des soins et le suivi des patients, l’impact économique en termes de coût-efficacité, mais aussi les enjeux de formation professionnelle et universitaire dont on parle moins, mais qu’il est impératif de repenser pour accompagner la vague d’arrivée des technologies connectées dans le domaine de la santé. Un partage d’expérience riche entre la France, plus particulièrement la Région Rhône Alpes et Auvergne, et le Québec a permis de comparer les profils d’utilisation et de perception de la santé connectée par le grand public, mais aussi par les médecins.
Pour commencer, Marie-Pascale Pomey a présenté une étude réalisée par le Pr Guy Paré (HEC) sur les comportements des adultes canadiens envers la santé connectée. Ensuite, elle a présenté les résultats préliminaires d’une étude en cours au Québec qu’elle mène avec Pr. Guy Paré et qui vise à identifier la perception et l’utilisation des médecins omnipraticiens de la santé connectée. Des retours intéressants sur des expériences d’utilisation d’objets connectés, notamment en gériatrie, en unités de cancérologie et en diabétologie ont été présentés par les médecins, mais aussi par les infirmières et les patients. Ces projets qui ont, pour la majorité, été initiés par des médecins et implantés grâce à un soutien volontaire des équipes interdisciplinaires ont montré des potentiels intéressants d’amélioration de la qualité de vie des patients, de la qualité des soins et de la diminution des coûts en santé.
Ces technologies portent néanmoins de grands défis, comme par exemple le fait que les données collectées doivent être traitées en amont avant de les acheminer au médecin, ce qui nécessite de créer de nouvelles fonctions et modalités organisationnelles du travail, la réception des données étant continue.
Un autre enjeu majeur qui a été beaucoup discuté est la pérennisation et la soutenabilité de l’utilisation de ces applications et de ces objets. Le point de vue des patients est clair, souvent la conception des objets connectés répond plus aux attentes des industriels qu’à celles des patients. Or, l’adoption et la pérennisation de l’utilisation de ces technologies passent nécessairement par le fait que ces technologies répondent d’abord et avant tout à un besoin réel du patient. Ceci nécessite une implication de ces derniers dès la conception de ces objets.
L’enjeu du respect de la vie privée et de la sécurité des données est également très important pour les patients, il est indispensable qu’un lien de confiance et des balises réglementaires soient mis en place afin qu’ils acceptent de donner accès à leurs données de santé. Des infirmières ayant participé à un projet pilote d’implantation d’un appareil connecté pour la surveillance du diabète ont témoigné à quel point ces technologies pouvaient être importantes pour assurer de façon continue la sécurité du patient dans ses différents milieux de vie, permettre un suivi en ambulatoire ainsi qu’une meilleure traçabilité et coordination des soins favorisant ainsi un meilleur suivi des patients.
Lors de cette journée l’intervention du Dr. Fabrice Brunet, Président Directeur Général, CHU de Montréal a été remarquée. Il a insisté sur le fait que les technologies connectées sont déjà là et que nous n’avons pas le choix que de les accompagner et de réfléchir aux meilleures modalités de leur implantation. Ces technologies créent un nouvel écosystème et apportent un changement de paradigme pour l’organisation de nos systèmes de santé et pour le raisonnement clinique, tant thérapeutique que diagnostic et interventionnel.
Ces propos ont été appuyés par la présentation du Pr. Aude Motulsky et de Janine Badr sur les enjeux de formations liés aux objets connectés. Elles ont en effet bien noté la nécessité d’une collaboration interdisciplinaire, de la mise en place de nouvelles formations universitaires et diplômantes, non seulement centrées sur la création technologique et informatique des objets connectés, mais surtout sur les modalités de leur utilisation par les professionnels de soins et les patients. Ces formations serviraient à mieux outiller les professionnels (et les patients) aux changements importants qu’apportent ces technologies connectées tant au niveau de la philosophie du soins que de l’environnement et de l’organisation des pratiques de soins.
Il est certain que le champ des innovations en santé connectée est en plein essor et qu’il reste beaucoup de chemin à parcourir pour être capable de répondre aux différents enjeux qu’elles suscitent. L’engagement du patient est la pierre angulaire de l’utilisation de ces technologies et encore peu d’études ont été publiées, mêmes si ces dernières portent à croire que le potentiel des objets connectés est réel. Il est ainsi fortement recommandé de réaliser des travaux de recherche interdisciplinaire permettant d’étudier l’impact réel de ces technologies sur la trajectoire de soins du patient et sur son engagement dans l’autogestion et la prise en charge de sa maladie et de sa santé mais aussi au niveau économique, juridique et éthique.
Ce contenu a été mis à jour le 3 août 2023 à 18 h 11 min.
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